Pierres magiques

Ici les érosions combinées du temps, les eaux marines ou douces, les intempéries,

les poussées ou les effondrements de la terre, les températures ou le souffle des vents s’inscrivent dans le minéral, ses tendresses, ses duretés, s’introduisant dans la moindre de ses failles et de ses faiblesses. Plus loin les diaclases, les chaos érodés, les pierres suspendues, une quantité innombrable « d’accidents » produisent de surprenantes formes. On y voit l’empreinte des titans, des dieux démiurges. On confère à ses pierres une dimension religieuse ou magique. Quelques événements extraordinaires ont eu lieu ici : présences de géants, de dieux et de fées, ou encore d’un saint ermite. Ces endroits ont attiré mon regard et m’ont fait peur parfois, une peur non destructrice faite d’émotions vives, une joyeuse peur, comme on pouvait craindre Dieu, c’est-à-dire dans le respect du lieu. L’humour de la nature. Dépassée cette frayeur, les lieux magiques font écho à notre intériorité et on s’y sent incroyablement bien, comme dans les bras d’un animal protecteur ou de quelqu’un qu’on aime tendrement.

 

extrait de Chemin de pierres, roches et mégalithes de France, éditions Grancher 2015.

"Maîtres de l’immobile symbole d’éternité, ces monolithes sont un exemple de sagesse. Placés là en des âges immémoriaux et pour des millénaires, ils nous poussent à l’abandon de la mesure du temps. Comme des géants endormis, leur seule présence nous fait goûter à l’immortalité. Le silence qu’imposent ces pierres par leur seule présence nous englobe dans une bulle de non-causalité, là où les événements ne découlent pas forcément les uns des autres, où tout est possible, où enfin la connaissance nous vient."

Patrick Burenteinas

Tout ce vaste opéra de la lenteur extrême, toutes ces forces herculéennes du temps construisent le paysage d’aujourd’hui, ses variétés visuelles et formelles infinies. Elles sont aussi comme un livre ouvert qui nous racontent ainsi notre propre histoire, nos déluges, nos failles, nos fissures et nos soubresauts, nos rondeurs et nos pics. Quelques pages ont été déchirées ou effacées ici ou là, et l’enquête peut commencer. La table des matières est encore bien présente, limpide, évidente mais il nous reste encore à démêler le fil d’Ariane, à s’engouffrer plus avant dans l’histoire vertigineuse du temps.

extrait de Croisée de mondes, roches et ouvrages du Grand Est éditions du Signe 2016.

Dans les interstices d’une pierre, il n’y a jamais rien. L’adage d’Aristote selon lequel la Nature aurait horreur du vide ne me plaît pas tant que cela. Il me semble au contraire qu’elle l’adore, ce vide, cet espace entre les choses. Elle doit en faire son maitre-mot, sa litanie. Certes ce vide est plein, mais c’est un poncif, et ça ne mène à rien qu’à du creux. La photographie elle-même est totalement habitée et c’est ce qui me plaît : l’incroyable vertu et la présence des matières, comme un creuset alchimique. Alors quand il s’agit de photographier la roche, ce règne de la densité absolue, de la fausse immobilité, du temps géologique dépassant tout entendement, je ne peux que créer des relations, des ruptures ou des épousailles, que m’immiscer dans les noces de la nature artiste. Je sillonne l’hexagone et j’y retrouve la pureté de Constantin Brancusi ou de Henry Moore dans les érosions du Sidobre ou de la côte de granit rose, les épures de Jean Arp au lac du Merle de Lacrouzette, le chaos explosif d’un Fautrier rongeant les calcaires du Sautadet, et les nuages d’Hokusaï ou de Turner au cirque de Gavarnie un soir de 13 juillet après l’orage. La pierre est en ronde bosse et les territoires sont des musées, cabinets de curiosités et d’étrangetés, collections de formes, d’accidents et de coïncidences, qui ont pris tout de même entre 100 millions et 2 milliard d’années pour arriver jusqu’à nous.

extrait de Tout est plein, revue Passe-Muraille n°2, 2018.

Écrivain et photographe

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